La machine d'Anticythère


L’histoire de l’homme a de tout temps été mêlée à d’innombrables questions liées à ce qui se passe dans notre ciel. Pourquoi certains astres n’ont pas la même trajectoire que d’autres, que sont ces astres ?

Si aujourd’hui l’astronomie est à même de répondre à beaucoup de ces questions, grâce aux outils d’observation conçus par l’Homme, imaginez les interrogations que pouvaient soulever la présence de la Lune, d’étoiles plus ou moins brillantes dans le ciel auprès d’hommes qui ne disposaient pas de nos moyens modernes.

Dès la préhistoire on trouve des témoignages de l’intérêt des humains pour le domaine céleste. Voyez Stonehenge et l’alignement de l’une de ses arcades avec le solstice d’hiver.

Si on ne peut désigner un site mégalithique avec le terme “machine”, on peut en revanche l’utiliser pour désigner l’objet que je vais vous présenter aujourd’hui.

La découverte

Mer de Crète, 1900. Un pêcheur d’éponges est pris dans une tempête et trouve refuge dans une zone où il n’a pas l’habitude d’aller. Fidèle à sa vocation, à la faveur d’une accalmie il plonge explorer ces eaux inconnues et remonte, affolé, parlant de tas d’hommes morts nus. Imaginez l’état du scaphandrier après sa plongée, à une soixantaine de mètres de la surface tout de même !

Curieux constat, qui sera pourtant étayé par d’autres plongées réalisées dans la zone. Elles révèleront par la suite que le pêcheur venait de découvrir la plus importante épave antique connue à ce jour, en l’occurrence un navire romain rempli de trésors grecs.

Suite aux dernières recherches, la taille du navire a été réestimée à 50 mètres de long. Mais vous allez me dire “c’est sympa ton histoire, mais la machine, où est-elle ???”.

Patience, elle arrive.

La surprise

Parmi les centaines d’objets trouvés dans l’épave, se trouve un objet qui n’a pas son semblable ailleurs dans le monde, ce qui érige cet objet au rang de découverte exceptionnelle. Cet objet, c’est une machine, une machine composée de multiples roues dentées (un peu rouillées certes, mais quand-même !).

On a retrouvé un objet entouré de multiples fragments, très abîmé par son séjour dans l’eau (près de 2000 ans, excusez du peu !).

Machine d'Anticythère originale.

On avait bien entendu connaissance depuis longtemps de l’étendue des connaissances grecques en sciences, en mathématiques, mais cette fois-ci, les sources n’étaient pas des textes (qui peuvent décrire des objets fictifs), mais un véritable objet.

Les analyses

Les débuts

Comme tous résultats de fouilles qui se respectent, les trésors retrouvés ont fait l’objet de multiples analyses. Le premier constat est le suivant : on est en présence d’une machine avec un millénaire d’avance sur les technologies connues. Le second constat est que cet objet a trait aux calculs astronomiques, hypothèse formulée dès 1905, confirmée par la suite.

Les années 50

La technologie évoluant, l’éventail de techniques d’analyse s’est étendu, permettant d’exploiter les rayons gamma pour aller au coeur de la matière. Sont mis en évidence à cette époque des dizaines d’éléments venant compléter la vingtaine d’éléments déjà décrits, des roues dentées, des axes, des tambours. Autant de pièces mécaniques qui apportent plus de questions qu’elles n’en résolvent, mais permettent malgré tout de faire progresser la compréhension globale de ce mystérieux objet.

Les chercheurs trouvent également des textes, à caractère religieux, astronomique et mythologique.

Les années 2000

Nouvelle époque, nouveaux moyens d’investigations, nouvelle campagne de recherche. On change de technique, et on construit un appareil dédié à l’analyse de la machine d’Anticythère ! Cette fois-ci, on va jusqu’à construire un tomographe à rayons X haute résolution, 8 tonnes de haute technologie au service d’un seul objet. Les analyses mettent en évidence de nouveaux textes (900 caractères avaient déjà été déchiffrés, on en déchiffre 2000 de plus. Certaines parties correspondent au mode d’emploi de la machine, d’autres sont de l’ordre du traité d’astronomie), ainsi que de nouveaux éléments qui n’avaient pas été vus jusqu’alors.

L’interprétation

Bon, on a compris, on a une machine bien trop avancée pour son temps, mais que fait-elle réellement ?

Finalement, on en revient à l’hypothèse formulée dès 1905, c’est à dire à un calculateur de cycles astronomiques. La reconstitution la plus avancée (réalisée par le University College de Londres) aboutit aux fonctions suivantes :

L’un des résultats de ces analyses a permis de reconstituer au moins partiellement ce que devait être la machine avant de séjourner au fond de la mer de Crète. Il est à noter que cette reconstitution ne fait pas l’unanimité, certains évaluant certaines extrapolations douteuses du fait du peu de fragments réellement exploitables.

Reconstitution de la machine d'Anticythère.

Autrement dit, l’inventeur de cette machine est parvenu à créer un calculateur analogique permettant de prédire des évènements astronomiques, et c’est en cela que l’on qualifie parfois la machine d’Anticythère de “premier ordinateur analogique”.

Le mécanisme en action est bien décrit dans cette vidéo, qui montre l’incroyable complexité de la machine.

Pas mal pour une machine ayant 2000 ans au compteur, non ?

Mais qui l’a inventée ?

La liste de suspects n’est pas nécessairement longue, mais les critères en faveur ou en défaveur de l’un ou de l’autre ne sont pas simples à évaluer. La datation n’étant pas parfaite, selon l’hypothèse choisie le créateur change totalement. Les deux inventeurs les plus probables sont Archimède de Samos (celui-là même qui cria “Eurêka” dans son bain) et Hipparque de Nicée (astronome et mathématicien grec lui aussi, célèbre pour ses travaux de trigonométrie).

Et si vous vous demandez pourquoi n’a-t’on retrouvé qu’une seule machine de ce type, eh bien la littérature de l’époque n’évoque explicitement que 2 autres exemplaires de ce calculateur analogique, qui n’ont malheureusement jamais été retrouvés.

Finalement, il est déjà beau d’avoir retrouvé un spécimen sur les 3 dont l’existence est attestée par des écrits. Qui sait, la science n’a pas terminé de nous surprendre, peut-être retrouvera-t-on un jour une autre de ces machines ?

Conclusion

Peut-être me direz-vous “Mais que vient faire un article pareil au milieu d’un blog de développeur ???”, ce à quoi je vous répondrai qu’il me semble important de comprendre le cheminement qui a mené l’homme vers l’idée de construire des machines pour effectuer des calculs complexes, et ainsi mieux appréhender l’histoire de l’informatique, de ses prémisses à nos jours !

Cet article est le premier d’une longue série, dans laquelle, vous l’aurez compris, je vous présenterai les jalons qui ont marqué l’histoire de l’informatique.

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